Vers une industrie circulaire avec la seconde vie des produits
- Bertrand FELIX
- 1 mars 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 mai 2023
Réunies autour de Bertrand Félix, codirecteur de la Ruche industrielle, au côté d’une responsable de la métropole de Lyon et d’un cabinet de conseil, quatre entreprises ont travaillé de concert pour enrichir leur offre de produits de seconde main. Leur analyse commune de cette première étape vers une économie circulaire.

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Le développement de produits et services plus respectueux de l’environnement ouvre de belles perspectives aux entreprises industrielles. Leur démarche est souvent accompagnée de partenariats inédits et a des effets collatéraux positifs, tels que création d’emplois locaux ou amélioration de l’image de l’entreprise.
Les industriels peuvent jouer sur différents leviers, dont la seconde vie des produits (1). L’écoconception en amont est alors essentielle.
Animés par la Ruche industrielle, en partenariat avec Opeo et la métropole de Lyon, quatre industriels clés de Lyon, de Grenoble et, plus globalement, de Rhône-Alpes ont justement amorcé un mouvement collectif vers l’économie circulaire : ARaymond, JTekt, Montabert et Renault Trucks.
L’originalité tient à la méthode et à la célérité de l’exécution. Quatre mois leur ont suffi pour démarrer ou accélérer concrètement leur transformation. La seconde vie de produits sur le marché, après leur remise en état, le «remanufacturing» en français, «réusinage», «refabrication», passe par cinq étapes.
LA CLIENTÈLE POTENTIELLE AUGMENTE AVEC LA REVENTE
L’étape de la revente intervient à différents moments du cycle de vie. Selon le modèle d’affaires, les produits de seconde vie peuvent être vendus avant même d’être collectés, après la phase d’analyse qui suit le démontage ou, plus rarement, à la fin du processus de remise en état.
Les canaux de distribution s’adaptent eux aussi. Les entreprises peuvent avoir recours à des plateformes appelées «marketplaces». Mises en oeuvre et exploitées par des acteurs dont c’est le métier, ces places de marché en ligne sortent des canaux traditionnels de l’entreprise pour toucher un public plus large, répondre à de nouveaux besoins avec de nouvelles méthodes de commercialisation.
S’adressant à des cibles différentes, les produits de seconde vie ne cannibalisent pas, a priori, les produits neufs. Les premiers ont l’avantage d’être rapidement disponibles, alors que les seconds, touchés par la crise des approvisionnements due à la situation sanitaire et géopolitique, sont soumis à de longs délais. Les premiers présentent également l’avantage d’être moins carbonés : les acheteurs seront sensibles à ce critère environnemental majeur.
LES CINQ ÉTAPES DU «REMANUFACTURING»
ÉTAPE 1 :
Le processus de «refabrication» démarre par la collecte des composants ou produits usagés avant
qu’ils ne soient trop endommagés ou fatigués. Certains fabricants proposent une option de rachat, tel un service, dès la vente initiale. Cettepremière étape impose la mise en place de centres de collecte et de traitement installés au plus près des clients ou des réseaux de distribution, afin de favoriser les circuits courts.
Objectif : créer une logistique rentable et réduire l’empreinte carbone.
ÉTAPE 2 :
Les différents centres de collecte reçoivent, démontent et nettoient les composants. Cette étape est facilitée si les produits sont pensés d’emblée pour être démontés (écoconception).
ÉTAPE 3 :
Le niveau de remise en état dépend des usages et des attentes des clients : remise à neuf avec un degré de certification ou de garantie égal au neuf ; remise à neuf à l’état antérieur correspondant à l’année initiale de vente avec une garantie à neuf ou ajustée ; remise en fonction du produit après changement des seules pièces critiques et nettoyage ou remise en forme des autres pièces avec une garantie ajustée, ou après nettoyage et revente tel quel, avec une garantie d’occasion appropriée. Autre possibilité : tirer des pièces de rechange des produits collectés.
ÉTAPE 4 :
Réassemblage et personnalisation des produits. Après un passage au banc de test, la distribution de seconde vie peut démarrer.
ÉTAPE 5 :
Les pièces et produits ni réparables ni réutilisables sont aiguillés vers les filières de recyclage dédiées, de préférence locales.
PENSER CONJOINTEMENT LA CHAÎNE DE BOUT EN BOUT
La partie industrielle de l’économie circulaire nécessite également la mise en place de nombreux éléments pour atteindre un équilibre économique, d’où la nécessité de se regrouper, plutôt que de s’isoler ou de penser en silo.
Renault Trucks, ARaymond, JTekt et Montabert ont donc réfléchi conjointement aux potentielles solutions de seconde vie. Les sujets traités : l’exploration de nouvelles offres servicielles en interrogeant partenaires et clients ; la collecte des composants ; l’écoconception ; le recyclage ; la certification; l’homologation des nouveaux produits ; et, enfin, les labels.
D’autres actions complémentaires ont été menées : JTekt et ARaymond, en réponse au marché chahuté de l’automobile, ont étudié de nouveaux débouchés pour diversifier leur activité. Renault Trucks, par exemple, a évoqué son projet de création d’une usine de démantèlement pour développer un marché complémentaire de la pièce de rechange d’occasion (2). Les freins à l’émergence de ce type d’activité sont nombreux. Selon Opeo, cabinet de conseil acteur du projet, «la meilleure voie pour innover est de partir des marchés et des clients». Au lieu d’attendre un changement de la demande, on le provoque en appliquant à l’industrie les approches de type «test and learn» d’apprentissage par l’essai. Cela induit l’entrée dans un mode d’exploration
et d’itération, façon start-up.
Concrètement, il faut d’abord identifier les modèles économiques circulaires les plus prometteurs. L’entreprise commence par s’interroger sur les besoins de ses clients ou de ses prospects à partir de son expertise et de sa vision «environnementale». Puis elle dresse une liste d’idées, qui seront
testées et affinées auprès de clients clés. À la fin, seules les plus pertinentes seront retenues.
AVEC L’AIDE DE CLIENTS
C’est ce qu’a fait ARaymond en définissant quatre modèles potentiels. Ils ont été soumis aux clients du secteur de l’automobile, puis à ceux des secteurs de l’énergie, l’agriculture ou la santé. À l’issue de cette première phase, les modèles qui ne répondent pas aux besoins des clients consultés sont abandonnés.
Les modèles retenus sont soumis à quatre questions : quelles sont les propositions de valeur associéesau modèle circulaire ? quelle est la taille potentielle du marché couvert par mon modèle circulaire ? quelle est la taille du gisement de produits en fin de vie récupérables ? quelle est ma capacité à les récupérer ?
Des entretiens détaillés ont été réalisés avec certains clients de la première phase. Sous l’effet de leurs retours, l’idée initiale se transforme progressivement en une ou plusieurs propositions à tester avec eux au travers de preuves de concept.
Parallèlement, des données sont collectées auprès de différents acteurs, les commerciaux et les réseaux de distribution en particulier, afin de localiser et quantifier les gisements potentiels de produits en fin de vie, de définir les politiques de reprise et d’évaluer une première taille de marché pour ces propositions de valeurs.
C’est ainsi qu’après avoir validé l’idée d’un modèle économique basé sur la «refabrication», JTekt et Montabert ont identifié cinq propositions concrètes avec, pour chacune, au moins un client désireux de poursuivre l’expérimentation.
AVANT DE TRANSFORMER L’ESSAI
In fine, la réalisation des preuves de concept avec les clients partenaires a nécessité la mise en place d’un premier modèle industriel à la fois peu gourmand en investissement (au cas où le modèle s’avérait non rentable) et suffisamment flexible pour s’adapter aux itérations successives. Applicable aux processus physiques, cette recommandation vaut également pour les processus financiers, administratifs et pour les outils numériques.
Au cours de cette étape, tant que la preuve économique n’est pas faite ou tant que les processus physiques sont instables, il convient d’éviter une perte de temps et de ne pas s’engager dans de longs développements, coûteux et rigides via, par exemple, des progiciels de gestion intégrée (ERP).
Chacune des étapes exploration des modèles économiques circulaires, nouvelles propositions de valeurs et industrialisation d’un premier modèle peut faire l’objet d’un test de trois à quatre mois durant lesquels l’entreprise crée de la valeur tout en progressant, pas à pas, avec ses clients. Poussée par de nouvelles offres, la bascule vers de nouveaux modèles des services commerciaux, industriels et du bureau d’études (design) est encouragée, voire facilitée.
Pour l’industrie, pivoter vers des modèles bas carbone et circulaires est à présent une nécessité. Cette transformation est complexe mais l’approche pragmatique de quatre industriels au coeur de la Ruche industrielle montre que c’est possible.
Bertrand Felix
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